“Un Musée sous la Terre”: Photographie dans les carrières

Prise de conscience d’un patrimoine dissimulé dans les profondeurs

Une prédisposition

Enchevêtrement de ponts métalliques sous une place parisienne.

Enchevêtrement de ponts métalliques sous une place parisienne.

Ayant grandi à Paris, dès mon enfance m’est venu un déclic. Un intérêt soudain envers une chose, un outil qui m’a bercé dès la première fois, si fascinant depuis mon regard de petit enfant (oui je n’étais déjà pas très grand !) et en réalité fort banal : le métro. On parle bien de ce serpent à roulettes où tout le monde est si serré en allant bosser, avec ses couloirs qui sentent mauvais et ses réclames publicitaires aguichant toujours le regard fuyant du voyageur ne sachant plus où le poser! Pourtant ce n’est pas le contact humain qui m’a fasciné, loin de là, mais bien cette étrange façon de se retrouver à un point depuis un autre, sans vraiment savoir par où sommes-nous bien passés. Il m’est arrivé par la suite d’arpenter des lieux insoupçonnés tels que voies de services, stations fermées et autres accès condamnés.

C’est donc de cet environnement sombre et poussiéreux qu’a surgi cet intérêt tout aussi boueux sorti tout droit des soubassements urbains, de là où tout à commencé, celui pour les carrières souterraines.

 

 

Début et fin de tout

J’ai alors entrepris de visiter l’ossuaire municipal de Paris, autrement dit Catacombes. Entrepris n’étant pas un moindre mot car bien que l’expédition de ce kilomètre de galeries soit de nos jours aisée, le plus difficile est sans nul doute d’avoir la noble patience d’attendre dans la file interminable décrivant une spirale autour de l’entrée tant convoitée du terre-plein de la place Denfert-Rochereau lors de cette après-midi printanière. Quelle idée d’aller s’enfouir dans les cadavres un jour où la météo aurait été propice pour un petit footing au parc des Buttes-Chaumont ! Sauf que lors de la visite, je ne fus en aucun cas animé d’une macabre passion pour les corps décomposés mais plutôt intrigué par les multiples galeries grillagées semblant mener à tant d’endroits différents et intéressants constituant autant d’échappatoires à la foule de touristes.

« Encorbellements », galerie maçonnée en 1842 sous Paris. 16mm 400Iso f/82/3 48s

« Encorbellements », galerie maçonnée datant de 1842 sous Paris.
16mm 400Iso f/10 48s

Glaner çà et là des informations m’a permis d’entrer en contact avec des amis d’amis m’ayant « initié » (il est vrai que certains se croient dans une communauté satanique secrète) un certain 14 mars, à la visite de ces catacombes, la partie interdite cette fois, beaucoup plus excitante. Le nom catacombes est en fait inapproprié, car ce sont bien de carrières de pierre dont il s’agit là, dont une infime partie servit à entreposer un surplus d’ossements au début du XIXe siècle. Il est intéressant de constater qu’un même lieu constitue une base, les prémices de l’urbanisation nous faisant voyager des centaines d’années en arrière au temps de la construction de l’actuel Vieux Paris, et simultanément une mort, par le débarras de corps, de souvenirs ; et aussi d’objets. Il arrive de trouver des outils se décomposant rapidement par l’action de l’humidité ou au contraire fossilisés dans la glaise.

« Le Repos Eternel », ossuaire aménagé dans d’anciens vides souterrains. Carrière de calcaire – 14mm 250Iso f/9 60s

« Le Repos Eternel », ossuaire aménagé dans d’anciens vides souterrains.
Carrière de calcaire – 14mm 250Iso f/9 60s

Des espaces de vie

C’est donc de là que découle le propos de cette série photographique. Le but est de mettre en lumière ces objets dans leur environnement, laissés en place depuis des décennies par des ouvriers ou des visiteurs. Ce sont des objets du quotidien : pioches, arrosoirs, brouettes, ou bien insolites voire inattendus : outils de carriers, voitures, ou wagonnets (tiens donc, encore des machins qui roulent sur des rails !). Parallèlement, mon étude des carrières souterraines s’est étendue bien au-delà du périphérique: le tissu urbain s’est étendu et est allé chercher ses matériaux de plus en plus loin, il en va de même pour les autres villes importantes. Carrières et mines sont devenues autant de terrains d’action pour l’élaboration de ces images, dans lesquelles la lumière apporte la vie en y ajoutant une pincée de mystère grâce à un éclairage authentique, celui à l’acétylène! L’image crée alors le lien entre la naissance de la ville par l’extraction des matières premières et la mort omniprésente en ces souterrains. La vie y est aussi minérale, le temps faisant son œuvre sur les objets : le bois moisit puis pourrit, l’acier rouille puis se désagrège. Quant aux carrières, certaines peuvent à tout moment s’effondrer, rendant l’activité dangereuse mais surtout riche en émotions car il est possible de retrouver un lieu grandement changé le jour d’un éventuel retour. La main de l’Homme entre aussi dans ce cycle: l’urbanisation galopante fait parfois que ces carrières jadis situés sous la campagne se retrouvent soudain sous-jacents à des immeubles ou routes. La cavité disparait alors dans les coulis de béton ou de sable, ne laissant que les images comme unique souvenir concret de ce petit musée relatant une autre époque.

« Automobile Renault KZ6 », véhicule de transport de champignons, abandonné depuis 1966. Carrière de gypse - 10mm 200 Iso f/11 91s

« Automobile Renault KZ6 », véhicule de transport de champignons, abandonné depuis 1966.
Carrière de gypse – 10mm 200 Iso f/11 91s

D’un point de vue technique, ce genre de prise de vue nécessite des temps de pose longs, souvent supérieurs à la minute. L’éventail de possibilités de mises en scène est alors large, mais exige une certaine maîtrise de l’éclairage!

Lundi dernier était une date anniversaire de ce début de « carrière » (haha…), il était donc judicieux de mettre en avant cette série destinée à être poursuivie, par les caractères évolutif des vides et vaste du domaine des cavités artificielles.

L’intégralité de la série publiée en 2014 est consultable ici (lien vers le site de l’auteur)

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