-Les Cartes, c’est un sujet particulièrement apprécié par Raphaël. Quand elles s’associent à des portraits, ou “portraicts”, ça le passionne. Mais lorsqu’il s’agit en plus de sa région d’adoption, l’exception mérite bien de faire l’objet d’un article sur La Boîte A2!
C’est donc le cas d’une exposition qui se déroule à Grenoble jusqu’à la fin du mois, Les Alpes de Jean De Beins, au musée de l’Ancien Évêché. “Des cartes aux paysages”, elle nous montre un grand nombre de cartes, plans, ou portraicts, ces derniers étant des dessins reproduisant des profils de villes ou places fortes. L’auteur, Jean De Beins (1577-1651) dressa ces documents alors qu’il était “Ingénieur entretenu par le Roy”, géographe des “Païs de Dauphiné et de Bresse”, décrété par Sully en 1606. Il faut dire que sa formation militaire et son étude des mathématiques l’a permis de se distinguer des lors qu’il était sous les ordres du duc de Lesdiguières, lieutenant général du Dauphiné. Ce sont donc ces aspects, mathématique, géographique, et militaire, qui vont se retrouver sur ses cartes, qui d’ailleurs représenteront souvent des batailles ou des places fortes et notamment le Fort Barraux, à la frontière franco-savoyarde, qu’il va remanier en 1608.
Le musée a pu présenter un ouvrage exceptionnel, un manuscrit contenant 75 planches acquises depuis par The British Library. C’est de là qu’ont été reproduits les documents décrivant les aspects des provinces du Dauphiné, de Provence, et de Bresse. Certaines cartes manuscrites, provenant de fonds privés ou de la Bibliothèque Nationale de France sont aussi présentées au public, nous permettant d’apprécier la qualité artistique de ces travaux.
Parmi les profils, plans, et dessins anecdotiques, a retenu notre attention le Griffonnement du Plan du Siège de la Ville et Chasteau de Mirabel en Vivarest. Ici, l’influence militaire de l’oeuvre de Jean De Beins ressort, lorsqu’il s’agit de reproduire le plan d’une bataille, le positionnement des troupes, et ce sur différentes étapes. Mirabel fut une place forte médiévale, située sur un piton volcanique trouvant assise sur les contreforts du plateau du Coiron. La famille des Mirabel d’Arlempdes édifia au XIIe siècle le château oriental, et donna son nom à la localité qui le conserve encore aujourd’hui. Bastion protestant, le château jouxte la propriété des La Gorce, située côté Ouest. C’est dans le cadre du démantèlement des places fortes protestantes que Richelieu ordonna l’assaut de Mirabel en juin 1628. Jean De Beins participe à cet assaut mené par le duc de Montmorency, et nous fera parvenir une série de croquis du siège de quatre jours au terme du quel le châtelain protestant se rendra. Par ailleurs, Richelieu ordonna cinq ans après la destruction du fort de Puymaure, où De Beins avait lui même vécu et travaillé après la prise de Gap au catholiques par son mentor François De Bonne en 1577, qui n’était alors pas encore duc De Lesdiguières mais chef des protestants du Champsaur…
En plus de nous apprendre des faits historiques de la région, les dessins nous montrent aussi les technologies avancées de l’époque en matière de cartographie. Ceux-ci toutefois, ont quelques inconvénients, notamment celui d’être une représentation en perspective cavalière faussant alors les notions de profondeur. Voyons plutôt sur la vue suivante, le Païsage de Grenoble.
Si l’abbaye de Mont Fleuri, à Corenc, a disparu depuis le dessin de Jean De Beins, certainement suite à la révolution, son emplacement est aujourd’hui occupé par le collège Le Rondeau (visible ci-dessus en bas à droite). Nous avons tenté de retrouver le site près du quel le cartographe aurait pu dessiner cette vue. C’est au sommet d’un vaste pré occupé par quelques arbustes chétifs, au niveau du virage en épingle de la Corne d’Or que nos recherches nous ont conduits. On ne peut que remarquer le travail sur les similitudes entre le panorama s’offrant à nous et le précédent dessin, malgré la dense urbanisation qui s’y est opérée depuis. C’est là que le parti pris du cartographe est mis en évidence. Les dimensions des édifices religieux, militaires, ou des forteresses sont clairement exacerbées. Si le château de Bouquéron et l’abbaye peuvent apparaître de dimensions raisonnables, celles de la collégiale Saint André à peine discernable sur la photo le sont beaucoup moins. Son clocher quoique fantaisiste lui permet de se remarquer dans le paysage, la croix qui la surmonte signale son titre, mais cet ensemble lui donne une hauteur comparable à celle des trois tours. Il en va de même pour la Bastille qui dans sa configuration actuelle donnée par Haxo parait moins imposante que les fortifications de Lesdiguières. Nous apprenons tout de même que son aspect boisé n’a pas toujours été ainsi, et aurait pu à l’époque se rapprocher davantage de celui de cultures ou de vignobles. Nous reconnaissons bien sûr, inchangée, la barrière naturelle du Vercors dont la visibilité s’étend des Trois Pucelles à la Grande Soeur Agathe. Les prémices du Taillefer et de Belledonne sont, quant à eux, quelque peu romancés sur leur forme, mais reproduits selon des modèles précis, que nous retrouvons sur des plans plus généraux dans l’exposition. Enfin, l’auteur n’a pas manqué de mentionner la colline de La Tour sans Vening, elle aussi aux pentes exagérées, et qui a bénéficié d’un raccourcissement du promontoire de la Bastille pour ne pas en entamer la visibilité!
Nous évoquons pour terminer les formes tout à fait intéressantes des noms des différentes localités. Celles-ci nous en apprennent beaucoup sur l’étymologie des lieux de la région. La vallée natale du duc De Lesdiguières, au château du même nom, est ouverte par la Montagne d’Aubiou. Figurent également sur les cartes les différentes merveilles du Dauphiné, curiosités naturelles qui aujourd’hui sont au nombre de sept. Nous avons décidé de vous présenter notre sélection:
Vous aussi souhaitez connaître l’origine de localités qui vous sont chères? Ou bien connaître les méthodes et techniques de cartographie du XVIIe siècle? Ou simplement découvrir ce patrimoine?
Alors n’attendez plus, l’exposition a lieu au musée de l’Ancien Évêché à Grenoble jusqu’au 28 février 2018. Entrée gratuite.