– Cette semaine Claire-Agnès Villeneuve met sa photo de la semaine en accord avec l’activité grenobloise, à savoir la Descente des Alpages qui se déroule ce samedi 14 octobre 2017. Mais laissons-là les vaches (et le Beaufort) pour revenir à nos moutons, ou plutôt à nos chèvres…
Bélier, bouc, brebis, chèvre, mouton… agneau, chevreau, cabri… En voilà un troupeau de mots pour définir les membres d’une même famille : les caprinae. Bien sûr sous la bannière un peu sauvage des caprinae, on peut encore distinguer plusieurs groupes dont les capra linnaeus (chèvre, chevreau, cabri et bouc) et les ovis linnaeus (Bélier, brebis et agneau -ou magneau-). Enfin, pas de chance, la langue française a voulu que les noms des animaux d’élevage soient différenciés selon leur genre (à l’inverse de l’hippopotame mâle ou femelle). Ainsi la chèvre est la femelle du bouc et ensemble ils ont un chevreau ou un cabri (cabri pouvant aussi désigner plus généralement le petit de la famille des capra). Le bélier quant à lui est un mouton non castré et c’est avec ce dernier que la brebis aura un agneau.
On laissera de côté l’Agnus Dei qui tend à nous emmêler les pinceaux/pattes dans toute cette petite famille et nous concentrer un peu plus sur les légendes qui entourent le bouc et la chèvre, sujet principal de notre photographie (pour voir des moutons ça sera ici).
Le bouc et la chèvre ont des symboliques qui remontent aux origines même de l’antiquité. Il faut tout de même faire attention car si, à partir du Moyen-Âge, on rassemble le couple sous la même étiquette diabolique, leurs histoires diffèrent à leur début. Le bouc est tout d’abord l’animal représentant Pan, divinité de la nature, protecteur des bergers et troupeaux. Pan a une grande influence dans la mythologie, qu’il traverse de part en part : “Pan” en grec c’est le “tout”, il est dans le mouvement, l’agitation (dieu des foules, il y provoque des mouvements de “panique”) et bien sur la procréation. C’est ce lien étroit entre Pan, le bouc et sa sexualité débridée qui pousse l’homme à s’en détourner. Car dans nos esprits européens la sexualité renvoie à la bestialité,à l’animal primitif que nous pouvons être. Quoi de mieux qu’un bouc, animal à l’odeur musqué, prêt à vous charger si vous avez le malheur de vous approcher de ses chères compagnes ?
La civilisation s’est donc mise en tête de lutter contre le satyre qui pouvait nous habiter. Dans l’antiquité, on pratiquait des rituels de purification avec des boucs : entre deux bêtes on en en choisissait un pour le sacrifice tandis que l’autre était envoyé en exil, se chargeant des péchés humains au passage. Ce rite à donné le nom de “bouc émissaire” et est aujourd’hui largement employé dans le français pour désigné un individu sur lequel on fait retomber la faute de tous.
Si cette idée de “bouc émissaire” s’est amplifiée avec le temps, c’est parce que le christianisme à joué un rôle capital dans la diabolisation du bouc. En effet, Pan, et au travers de lui le bouc, a gardé longtemps après les débuts du christianisme une empreinte forte auprès de la population paysanne. Ce dernier va alors s’emparer de l’image de leur dieu (il faut savoir que le mot “paysan” à tout de même donné le mot “païen”) pour la transposer sur celle du diable (les cornes, sabots, poils, malice, lubricité etc…).
On retrouve une trame similaire dans les mythes qui entourent la chèvre mais avec un côté plus maternel tout de même. Dans la Grèce antique, Amalthée serait la chèvre qui aurait recueilli et nourri Zeus tandis que son père Chronos cherchait à le dévorer (ou alors Amalthée serait la propriétaire de la chèvre qui servit de nourrice à Zeus, selon les versions). Zeus brisa la corne d’Amalthée qui deviendra ensuite la corne d’abondance. On peut voir comme la chèvre est associée à la fertilité, à la vie (à l’instar de Pan). Lors de son départ, Zeus transforma sa nourrice en constellation afin de la remercier (et puis il avait besoin de sa peau pour se faire une tunique…), ce qui équivaut aujourd’hui à la constellation du capricorne.
Mais la bonté de la chèvre est endigué par son caractère impétueux et vif. On le retrouve dans le mythe de la constellation de la chèvre annonciatrice d’orage. D’ailleurs cette association entre chèvre/bouc et l’orage et la foudre se retrouve aussi dans la culture chinoise et nordique avec le chariot de Thorr tiré par deux boucs. Ce n’est pas sans nous rappeler les combats entre mâles, dont les coups de cornes résonnent tel la foudre. Cette connotation instable de l’animal se retrouve jusque dans la langue, où le nom latin de la chèvre ” capra” donnera lieu au mot “caprice”. Ces avec toutes ces armes encore une fois que les chrétiens s’emparent de l’image de la chèvre pour la dévaloriser jusqu’à la rendre diabolique. On en vient même à attribuer le bouc comme étant la création de Satan pour pouvoir imiter Dieu qui de son côté créait le cheval… Heureusement qu’il ne s’est pas mis en tête de nous remplacer les week-ends !
Bon week-end et à la semaine prochaine !